Concurrence Imparfaite 2 : Les oligopoles

UC1 - Analyse Economique

Simon Jean

AgroParisTech - CIRED - PSAE

Introduction

Rappels : concurrence pure et parfaite a concurrence imparfaite - rappels

  • Concurrence pure et parfaite:
    • Les producteurs sont des preneurs de prix, ils réagissent au marché, sans l’impacter, et agissent en maximisant leur profit
    • L’offre est déterminée par \(p = Cm(q)\) i.e. on s’arrête de produire lorsque le coût marginal dépasse le prix, et le prix de vente reflète le coût marginal de la dernière unité produite
    • Cette situation maximise le surplus collectif, incluant celui du consommateur

Rappels : le monopole

  • Monopole :
    • Le producteur est faiseur de prix, en fonction de l’élasticité de la demande, il fixe le prix et les quantités offertes sur le marché pour maximiser son profit
    • Il tarifie au delà du coût marginal, le prix est tel que \(p= \frac{1}{1 +\eta}Cm(q)\)\(\eta\) est la réciproque de l’elasticité de la demande, et \(\frac{1}{1+ \eta}\) est le taux de markup
  • Comme il tarifie au delà du coût marginal:
    • Moins de quantités sont consommées
    • A un plus haut prix
    • Causant une perte de surplus collectif et une redistribution du surplus des consommateurs vers l’entreprise

Perte sèche

Perte sèche

Perte sèche

Les oligopoles

Définition

Les oligopoles sont des situations de marché où un nombre fini et restreint d’entreprises se partagent le marché.

Au milieu entre la concurrence pure et parfaite où il y’a \(n \to \infty\) firmes et le monopole où il y a \(n=1\) firme

Exemples:

  • Téléphonie en France : 4 acteurs
  • Voitures : Renault-Nissan + PSA > 60% marché
  • Grande distribution : 6 acteurs pour 92%
  • Eau en bouteille

Pourquoi une analyse spécifique aux oligopoles?

Imaginez une entreprise en situation de monopole, du fait d’une barrière technologique (i.e. un brevet, ou simplement, d’autres entreprises n’ont pas la technologie)

  • Un nouveau concurrent arrive sur le marché
  • L’ancien monopole doit s’adapter et réagir à l’entrée du concurrent, et vice versa pour le concurrent
  • On a ce qu’on appelle des interactions stratégiques i.e. une situation où le profit des agents dépend des actions des autres agents

On se focalise aujourd’hui sur les duopoles, i.e. situations à 2 entreprises

Différents types de duopoles en fonction des caractéristiques

  • Duopoles avec des produits et une information homogènes :
    • Même produits
    • Connaissance parfaite des coûts de production de tout le monde
  • Dans le cadre de jeux (cf. théorie des jeux):
    • Simultanés
    • Séquentiels
  • avec différents variables stratégiques :
    • Les entreprises fixent leurs quantités
    • Les entreprises fixent leurs prix
  • Avec une fonction de demande inverse : \(P(Q)= P(Q_A+Q_B)\) avec \(P'(Q)<0\)

Notion d’équilibre

On se focalise sur l’équilibre des jeux, c’est à dire une situation où l’on ne bouge plus

Qu’est ce que ça veut dire, en économie, ou dans un jeu?

Définition

Un équilibre de Nash est une allocation où aucun agent n’a unilatéralement intérêt à dévier

  • On peut le chercher avec des fonctions de meilleures réponses
  • Ou alors, en comparant les différentes stratégies, avec des matrices de gains

I. Le duopole de Cournot

Le duopole de Cournot - théorie

Deux entreprises \(A\) et \(B\) se font concurrence en quantités : elles choissent combien d’unités mettre sur le marché, pas les prix.

  • Intuition sur le comportement?
    • Plus il y a de quantités, plus le prix baisse: il y a une interaction par le prix \(P(Q) = P(Q_1 + Q_2)\)
    • Plus mon concurrent produit, plus il baisse les prix (mais augmente son volume et peut-être ses recettes totales), mais j’en souffre donc je produis moins
    • Moins mon concurrent produit, plus les prix sont hauts (mais son volume est bas, et ses recettes totales baissent peut être) mais j’en bénéficie donc je produis plus
  • Un intérêt commun à réduire la production

Le duopole de Cournot - théorie

  • Pour chaque entreprise :
    • \(CT_i(q_i)\) est le coût total
    • \(Cm_i(q_i) = CT_i'(q_i)\) est le coût marginal de production
    • \(q_j^E\) est l’anticipation relative à la production du concurrent
    • Le profit s’écrit : \(\Pi_i(q_i; \mathbf{q_j^E}) = P(Q)q_i - CT(q_i) = P(q_i+q_j^E)q_i - CT(q_i)\)
    • Chaque entreprise maximise son profit1 : \[\begin{align} \Pi_i'(q_i;\mathbf{q_j^E}) &= P'(q_i+q_j^E)q_i + P(q_i+q_j^E) - Cm(q_i) = 0\\ & \Rightarrow q_i^* = q_i(q_j^E) \end{align}\]

Le duopole de Cournot - théorie

  • Chaque entreprise aboutit à une fonction de réaction i.e. fonction de meilleure réponse conditionnellement à la production attendue de son concurrent
    • Quel est le signe de \(q_i^{*'}(\mathbf{q_j^E})\) ?
    • On peut prouver que \(q_i^{*'}(\mathbf{q_j^E})<0\), conformément aux intuitions
  • Comment trouver l’équilibre?
    • Ici, on regarde le long terme : une convergence, où il n’y a plus intérêt de bouger c’est à dire un équilibre de Nash
      Comment?
  • Sous la forme d’un jeu simultané :
    • On décide une bonne fois pour toute avec toute l’information
    • En résolvant un système d’équations simultanées

Le duopole de Cournot - Exemple

Infographie: L'oligopole de l'agrochimie | Statista

Vous trouverez plus d’infographie sur Statista

  • On simplifie, on prend deux entreprises, \(A\) et \(B\) et:
    • On suppose que leur coûts totaux de production sont linéaires: \(CT_i(q_i) = cq_i\)
    • On normalize la demande inverse : \(P(Q) = 1 - (q_A + q_B)\)
    • Le profit est donc : \(\Pi_i(q_i, \mathbf{q_j^E}) = q_i (1 - c - (q_i+ \mathbf{q_j^E}))\)

Le duopole de Cournot - exemple

Chacun maximise son profit, en prenant les actions de son concurrent comme donnée, anticipée: \[ \begin{align} \Pi'(q_i) = 0 &\iff (1 - c - 2q_i - \mathbf{q_j^E})=0\\ &\iff q_i^* = \frac{1 - c - \mathbf{q_j^E}}{2} \end{align}\]

La stratégie du concurrent est connaissance commune :

  • Chaque entreprise connaît la stratégie de l’autre, et peut remplacer \(\mathbf{q_j^E}\) par \(q_j^*\)
  • Et résout un système d’équation simultanées :

Le duopole de Cournot - exemple

\[\begin{align} q_A^{*C} = \frac{1 - c - \mathbf{q_B^E}}{2}\\ q_B^{*C} = \frac{1 - c - \mathbf{q_A^E}}{2} \end{align}\] Donc : \[ q_A^* = q^*_B = \frac{1-c}{3} \]

Le duopole de Cournot - exemple

\[\begin{align} q_A^* = \frac{1 - c - \mathbf{q_B^E}}{2}\\ q_B^* = \frac{1 - c - \mathbf{q_A^E}}{2} \end{align}\] Donc : \[ q_A^* = q^*_B = \frac{1-c}{3} \]

 

Le duopole de Cournot - exemple

\[\begin{align} q_A^* = \frac{1 - c - \mathbf{q_B^E}}{2}\\ q_B^* = \frac{1 - c - \mathbf{q_A^E}}{2} \end{align}\] Donc : \[ q_A^* = q^*_B = \frac{1-c}{3} \]

 

Le duopole de Cournot

  • Dans ce cas, il y a un profit réalisé, positif: \(\Pi_i= \left(\frac{1-c}{3}\right)^2\)
    • On y reviendra
  • Dans la pratique, on peut avoir un autre type de cas, où une firme domine :
    • Une firme est présente depuis longtemps
    • L’autre arrive, et n’a pas encore toutes les capacités de production installées etc.
  • Cela donne lieu à un jeu séquentiel dans le cadre du duopole de Stackelberg

II. Le duopole de Stackelberg

Théorie

  • Cadre de jeu séquentiel donc :
    • Un premier joueur choisit sa production
    • Le second suit
      Comment?
  • On se rappelle que toute l’information est partagée:
    • Le premier joueur connaît la fonction de réaction du second, et l’intègre dans sa décision
      Méchanisme d’induction à rebours : on remonte du dernier choix possible au premier pour résoudre le jeu
    • Le second observe la quantité produite et s’adapte

Théorie

Si on suppose que l’entreprise A est leader, elle maximise son profit \(\Pi_A = p(q_A, q_B^*(q_A))q_A - CT(q_A)\)

On a : \[\frac{\partial \Pi_A}{\partial q_A} = 0 \Rightarrow q_A^*\]

Et in fine \(q_B(q_A^*) = q_B^*\)

Exemple

On suppose maintenant que la firme A, leader, est plus efficiente à produire :

  • \(CT_A(q_A) = \frac{1}{2}q_A^2\)
  • \(CT_B(q_B) = 2q_B^2\)
  • Etape 1 : on détermine la fonction de réaction de l’entreprise suiveuse : \[ \frac{\partial }{\partial q_B}((1 - q_A - q_B)q_B - 2q_B^2) = 1 - q_A - 6 q_B^2 = 0 \Rightarrow q_B(q_A) = \frac{1 - q_A}{6} \]

Exemple

  • Etape 2 : la firme A, leader, intègre cela dans sa décision : \(\Pi_A(q_A) = \left(1 - q_A - \frac{1-q_A}{6} \right)q_A - \frac{1}{2}q_A^2\) \[ \Pi_A'(q_A)=0 \Rightarrow q_A^{*S} = \frac{5}{16}= 0.3125\]
  • Etape 3 : la firme B réagit effectivement et produit : \(q_B = \frac{11}{96}\approx 0.1145\)

Conclusion

  • La firme B produit moins que la firme A et fait moins de profit (double effet dans l’exemple):
    • Avantage du premier joueur
    • Différence de coût
  • On effectue une analyse statique et certaine ici:
    • Dans les faits, les firmes anticipent les actions de leurs concurrents
    • Ces anticipations se fondent sur des annonces et leur crédibilité
    • Une firme leader doit correctement anticiper la réaction de la firme suiveuse, qui doit elle même faire des annonces crédibles
    • Les annonces peuvent ne pas être crédibles : le leader agit alors sur la base de ses propres estimations

III. Le duopole de Bertrand

Set-up

  • Jeu symétrique
  • La variable stratégique ici est le prix: au lieu des quantités, les entreprises fixent les prix auxquels elles vendent, et laisse s’ajuster les quantités produites
    • Cela suppose quoi?
      De pouvoir produire autant que ce qui est demandé
  • Elles se font concurrence pour récupérer des parts de marché sur un produit homogène

Résolution

  • On revient à un coût total de production linéaire, où \(c\) est le coût marginal de production des deux entreprises
  • On travaille cette fois avec une fonction de demande \(D_i(p_i, p_j)\) et le profit est \[ \Pi_i = (p_i - c)D(p_i, p_j) \]
  • On est sur un bien homogène (les consommateurs ne font pas la différence), comment va se caractériser la demande?
    • Effectivement, si \(p_i<p_j\), \(D_i(p_i, p_j) = D(p_i)\)
    • Si \(p_i = p_j\), \(D_i(p_i, p_j)= D_j(p_j, p_i) = \frac{1}{2}D(p_i)\)
    • Finalement, si \(p_i>p_j\), alors \(D_i(p_i, p_j)=0\)

Résolution

  • On a donc les profits suivants :
    • Effectivement, si \(p_i<p_j\), \(\Pi_i = D(p_i)(p_i -c)\)
    • Si \(p_i = p_j\), \(\Pi_i= \frac{1}{2}D(p_i)(p_i -c)\)
    • Finalement, si \(p_i>p_j\), alors \(\Pi_i=0\)
  • Comment trouver l’équilibre de Nash?
    • Méthode : Comparer les payoffs
  • Si \(p_A>p_B>c\):
    • \(D_A = 0 \Rightarrow \Pi_A=0\)
    • A peut améliorer son profit en faisant \(p_A'<p_B\) et récupérant la demande
      Ce n’est donc pas un équilibre
    • De façon symmétrique pour \(B\), bien entendu

Résolution

  • Si \(p_A >p_B = c\)
    • \(\Pi_A=\Pi_B=0\)
    • B peut améliorer son profit en faisant \(p_B' = p_A-\epsilon\), où \(c<p_B'<p_A\)
      Ce n’est donc pas un équilibre
  • Le seul cas qui reste est \(p_A=p_B=c\)
    • Si A augmente son prix, il perd toute la demande, pareil pour B
    • Si B baisse son prix, il fait un profit négatif, pareil pour B
    • Il n’ya donc pas d’intérêt à dévier

Conclusion

Le paradoxe de Bertrand

En situation de duopole, si la concurrence se fait en prix, l’allocation d’équilibre est identique à l’allocation concurrentielle

  • En termes de politique publique, dans ce cas, l’Etat n’aurait pas besoin d’agir, de réguler les marchés

  • Pour les entreprises, la guerre des prix implique pas de profit
    Quelles sont les marges pour en sortir?

  • Comment résoudre le paradoxe?

    • Avec des produits différenciés
    • Des interactions répétées
    • De l’information imparfaite (Paradoxe de Diamond)
    • Des contraintes de capacité

Conclusion

Le paradoxe des marchés contestables, Beaumol

L’allocation de concurrence peut prévaloir même lorsque les conditions de la concurrence ne sont pas réunies, si le marché est contestable, si la menace d’un nouvel entrant est crédible

Il faut maintenir les barrières à l’entrée basses pour éviter les oligopoles qui surtarifient

IV. Les collusions

Collusions

  • On a vu des jeux non-coopératifs, qui mènent à des profits inférieurs à celui du monopole
    \(\Rightarrow\) Pourquoi ne pas s’allier?
  • Certaines firmes vont parfois s’allier, explicitement ou implicitement :
    • Cartel de l’OPEP
    • Cartel du linoleum
  • L’identification des cartels est difficile :
    • Les coûts sont difficiles à voir, l’état à du mal a les voir
    • Il y a des outils qui indiquent, mais ne suffisent pas à prouver économiquement : parts de marché, corrélations de prix et fluctuations etc.

Collusions

  • C’est strictement interdit (modulo quelques exceptions) dans le cadre du droit de la concurrence (Articles 101,102 et 107-109 du TFUE)

  • Problématiques de stabilité des collusions:

    • Il peut y avoir un intérêt à dévier pour augmenter ses profits avant de se faire attraper: si tout le monde réduit la production, on bénéficie de produire plus à la marge et de dévier de la stratégie commune
    • Il y a un intérêt à dénoncer en premier un cartel pour bénéficier du programme de clémence

V. La concurrence monopolistique

Définition et enjeux

  • Les produits ne sont plus homogènes : on a différentes variétés (i.e. différenciation horizontale)
  • Par conséquent, chaque entreprise a un pouvoir de marché sur son segment, qui est limité, là où elle faisait face à une demande horizontale en concurrence pure et parfaite
  • La limite vient de la substituabilité avec d’autres produits proches : on utilise des fonctions de demande qui prennent en compte la variété et les substitutions imparfaites
  • La différenciation explique le commerce intrabranche entre pays (voir les travaux de P.Krugman) (60% des échanges): la France exporte des voitures vers l’Allemagne et réciproquement

Conclusion

Qui s’applique quand?

  • Il est parfois difficile de savoir qui s’applique quand, quel modèle pour analyser quelle situation

  • Variable clé : l’ajustabilité des capacités de production

    • Si la capacité de production s’ajuste facilement, on peut s’attendre à une concurrence en prix
      Marchés de services
    • Si le contraire est vrai, la concurrence à la Cournot semble plus appropriée
      Marchés de biens

Faut il intervenir?

  • Les pratiques anticoncurrentielles nuisent au consommateur :
    • Prix plus élevés
    • Potentiellement des effets sur l’emploi
    • Et des effets négatifs sur l’innovation
  • On l’a vu, le profit est inversement relié à la concurrence : les entreprises essaient d’y échapper
    • Parfois par des processus “vertueux” : différenciation, innovation etc
    • Mais aussi par des moyens moins vertueux, comme la collusion ou l’usage d’un pouvoir de marché
  • C’est le rôle de la politique de la concurrence que de réguler cela.