Les effets économiques négatifs des pesticides

UE Economie des politiques agricoles, alimentaires et environnementales

Simon Jean

AgroParisTech - CIRED - PSAE

Introduction

Les pesticides

Sources : données de vente de pesticides en Europe, Eurostat

Les impacts

Sur la biodiversité :

  • Déclin des populations de pollinisateurs, surtous sauvages : abeilles, bourdons, papillons…
  • Qui créent de nombreux services ecosystémiques dont la pollinisation, qui représentent:
    • 80% des cultures (à fleurs et céréalières) en ont besoin
    • Valant autour de 15% de la valeur ajoutée produite par l’agriculture
    • Dans le monde : “the short-term effects of a total pollinator loss lie between 1 and 2 % of global GDP”, voir Lippert et al, 2021

Les impacts

La santé :

  • Risques accrus de cancers (lymphomes non hodgkiniens, leucémies).
  • Troubles neurologiques (Parkinson, déclin cognitif).
  • Problèmes endocriniens (perturbateurs hormonaux).
  • Effets sur la reproduction : infertilité, malformations congénitales.
  • En 2022, 11 millions de Français ont reçu au robinet une eau dépassant les seuils autorisés de pesticides.

L’économie des nuisances

Formuler le constat économique

  • Des individus utilisent des produits pour augmenter leurs rendements, gagner plus d’argent :
    • Il y a un bénéfice privé : l’accroissement de profit en produisant plus
    • Et un coût privé : le coût des produits, et la mise en danger des agriculteur.ice.s elle.eux mêmes
  • D’autres en pâtissent, de façon plus ou moins directes : il y a un coût social
    • Coûts directs pour l’agriculture
    • Autres coûts : santé, perte de biodiversité et valeur d’assurance de la biodiversité etc.
  • On a un souci :
    • La décision des individus ne fait pas se rencontrer bénéfice privé et coût social
    • Car coût social et coût privé ne sont pas identiques.

Rappels : prise de décision microéconomique

Règle de décision

Un agent s’arrête de produire lorsque \(p=Cm(y)\)

L’approche pigouvienne des nuisances: réguler un marché défaillant

“[…] one person A, in the course of rendering some service, for which payment is made, to a second person B, incidentally also renders services or disservices to other persons (not producers of like services), of such a sort that payment cannot be exacted from the benefited parties or compensation enforced on behalf of the injured parties”

Arthur Cecil Pigou, The Economics of Welfare, 1920

Définitions

Les externalités

Action d’un agent qui a des conséquences sur l’utilité ou le profit d’autres agents sans compensation monétaire

Le coût (ou bénéfice) social des actions diffère du coût (ou bénéfice) privé

  • Un problème de justice
    • Les gens n’ont rien demandé et sont lésés
  • Un problème d’efficacité :
    • Nuit aux efforts que les gens font pour maximiser leur bien être
    • Empêche le mécanisme de marché d’allouer les ressources au mieux

Illustration des externalités

  • A titre d’exemple, supposons que qu’une entreprise utilise des pesticides, et vend son produit agricole, à un prix de 400 euros par unité de vente
  • Son coût marginal de production est de \(Cm(q)=20q\), soit 20 euros par tonne supplémentaire, prenant en compte la charge en pesticides

  • A chaque unité produite, elle cause des nuisances agricoles et sanitaires
  • Ces nuisances agricoles et sanitaires ont des effets économiques quantifiables et quantifiés (on reviendra dessus dans l’heure suivante)
  • De sorte que le dommage marginal causé par les productions est \(Md(q) = 100\)

Le premier théorème de l’économie du bien-être

En présence d’information parfaite, si les droits de propriété sont proprement définis, l’équilibre de marché est optimal i.e. l’équilibre de marché mène à une allocation efficace, où l’on ne peut améliorer le bien être des uns sans détériorer celui des autres

  • En présence d’externalités, les droits de propriétés sont mal définis:
    • Il y a des droits sur les biens
    • Mais pas sur les conséquences de beaucoup d’actions
    • Le système de prix, qui guide l’allocation des ressources, ne reflète pas les bonnes informations
  • L’efficacité du système de marché est remise en cause : il faut agir pour restaurer l’équilibre du marché, en fixant un prix aux externalités, c’est le principe du pollueur payeur

Des approches concurrentes : William Kapp et l’économie écologique

William Kapp, The social cost of business entreprise, 1963
  • La mise en forme de l’activité économique et des échanges par le mécanisme de marché génère intrinsèquement des coûts sociaux, à la fois purement sociaux et environnementaux
  • A la différence de Pigou, les externalités ne sont pas des défaillances exceptionnelles mais des caractéristiques inhérentes aux causes multiples, additives et qui se renforcent
  • Plutôt que le principe du pollueur payeur, il faut concevoir des institutions fortes qui permettent de prévenir l’explosion des coûts sociaux
  • Assez critique de l’analyse “coût-bénéfice”, devant la difficulté d’établir proprement les coûts sociaux, et la nécessaire simplification du monde qu’ils entrainent

III. La mesure des coûts sociaux

Quantifier la valeur de la perte de la pollinisation sauvage

  • Approches expérimentales:
    • Expérience entre deux champs en placant des ruches de pollinisateurs naturels et comparaison des rendements
    • Permet une analyse fine, mais difficilement réplicable et exportable
  • Approche par expertise & ratios de dependence
    • Pour chaque culture, on demande aux experts le taux de dépendence à la pollinisation sauvage (changement de rendement)
    • On mesure la valeur du changement de rendement par les prix de marché
    • On peut avoir des méthodes réplicables, avec peu de data, mais qui ne prennent pas en compte les conditions locales, ni initiales (niveau de base de pollinisateurs)
  • Approches statistiques :
    • Modèles statistique prédisant la production au vu de la quantité de pollinisateurs
    • Nécessite beaucoup de données sur les autres intrants et une variation exogène pour attribuer une cause claire
  • Approches par coût de remplacement:
    • Ruches domestiques ou pollinisation à la main

Mesurer les effets sur la santé

  • Approches expérimentales : on exposerait des gens à des produits pour voir s’ils développent des cancers dans le long terme
    • Problème éthique
  • Approches quasi expérimentales:
    • Des changements relativement aléatoires dans l’environnement naturel, politique, économique etc
    • Créent des effets sur les gens
    • Qui sont répartis de façon équilibrée entre groupe de traitement et de contrôle

Focus : identifier l’effet des pesticides sur la santé des nourissons via la disparition de prédateurs

La méthode de différence de différences

Quel est l’effet du traitement qui a eu lieu entre \(t\) et \(t+1\)?

La méthode de différence de différences

  • Effet du traitement = \((Y_{t+1}^T - Y_t^T) - (Y_{t+1}^C-Y_t^C)\)

  • Dans le cas de l’étude de E. Frank, 2024, il montre que :

    • L’usage des pesticides augmente de 1kg (puis 2 kg après 5 ans) par \(km^2\)
    • Et cause un accroissement de 7.9% de la mortalité des nourissons (1,334)

IV. Les politiques publiques de réduction des externalités

Solution réglementaire

Les solutions monétaires

  • L’approche pigouvienne
    • Pollueur-payeur
    • Taxe (ou subvention) du montant du dommage marginal

\[\begin{align} \Pi &= (p-t)q-c(q)\\ & (p-t) = Cm(q)\\ & p = Cm(q)+Md(q) \end{align}\]

  • Double dividende :
    • Incitation à réduire : moins de dommage
    • Recette fiscale

Solution monétaire

Conclusion

  • L’analyse coûts bénéfices est criticable mais nécéssite l’inclusion des coûts sociaux pour mener à une allocation des ressources efficaces
  • L’ensemble des coûts sociaux est de l’ordre de 372 millions d’euros (Alliot et al., 2022), prenant en compte:
    • Les coûts environnementaux à hauteur de 291.5 million d’euros
    • Les coûts liés à la santé à hauteur de 48.5 million euros,
    • En comparaison, cela représente 10% du budget total du Ministère de l’Agriculture en 2017
  • Qu’ils soient vus comme des externalités ou des éléments caractéristiques, les politiques publiques institutionnelles et économiques sont nécessaires, accompagnées des mesures distributionnelles et équitables:
    • Les subventions peuvent être utilisées pour éviter l’usage de pesticides, et promouvoir d’autres modes alternatifs rentables comme le bio (voir Italie et Allemagne)
    • Dans beaucoup de cas, il est possible de réduire l’usage de pesticides sans réduire la production, et récupérer ainsi une partie des marges du secteur pesticides